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Ces ados en mal de pères

Ces ados en mal de pèresLes papas de ces ados sont absents ou ne prennent plus le temps de s’occuper d'eux. Ce manque de père blesse les adolescents, en silence, à un âge où la présence de référents masculins forts est essentielle à la construction de soi. Zoom sur ces ados « en mal de pères ».

« Avoir un référent masculin quand on est ado est important aussi bien au niveau de l’autorité qu’au niveau de la sexualité. »

Pierre a 16 ans. Il se définit lui-même comme un « grand turbulent ». Il n’aime ni l’ordre, ni l’autorité. Ses relations avec les adultes sont plutôt délicates. Avec les profs… c’est encore pire : il les « déteste ». Le jeune homme a redoublé à deux reprises et a été exclu de trois collèges. Alcool, fête, amis sont ses maîtres mots. Sa mère ? Une architecte parisienne qu’il juge trop envahissante. Son père ? Un homme absent qui a quitté le foyer familial quand son fils avait 4 ans. Une histoire passée sur laquelle Pierre ne préfère pas trop s’attarder.

Déséquilibre face à l'absence de père
Et pourtant, selon toute vraisemblance, les difficultés rencontrées par le jeune homme semblent trouver leur origine à ce niveau : au cœur même de ce manque inavouable, indicible et destructeur. « Enfant, raconte amèrement Marie-Noëlle, maman de Pierre, mon fils me questionnait beaucoup sur l’identité de son père. Il voulait connaître sa vie, son métier et les raisons de son départ. Au début, il n’éprouvait aucune haine particulière à son égard. Mais peu à peu, son apparente neutralité s’est transformée en véritable mépris. En réalité, je crois que si son père avait été présent, Pierre n’aurait jamais rencontré autant de problèmes. Aujourd’hui, je n’arrive plus à me faire respecter de lui. Je suis totalement dépassée par la situation, incapable de lui garantir l’amour d’une maman et l’autorité d’un papa. »

Autorité et absence du père
Sur ce point, nombre de psys partagent le même avis : pour se développer harmonieusement, un enfant a certes besoin de la douceur et de l’écoute inconditionnelle d’une mère, mais idéalement, il doit aussi se nourrir de la fermeté d’un père. Question d’équilibre. Seulement, « en ce début de XXIe siècle, souligne le psychologue Pascal Nef, face à la multiplication des divorces, de plus en plus d’enfants sont élevés seuls par leur mère et ne peuvent donc profiter pleinement de ces deux facettes éducatives ».
Faut-il s’en inquiéter ? « S’il n’y a pas de carence d’autorité, non. Sauf qu’une mère seule n’arrive pas toujours à assurer la fonction structurante d’un père. » Ce qui, à long terme, peut poser difficulté. Surtout à l’adolescence.

Absence de père et de repères
Pourquoi ? Parce que l’adolescence, explique le psychiatre Alain Denil, « représente une période assez confuse : le jeune, en pleine quête identitaire, cherche souvent à flirter avec les limites et les interdits ». Du reste, l’amour de sa maman, il ne souhaite plus le consommer avec autant de ferveur et d’enthousiasme que jadis. Désormais, il sent poindre en lui un désir – généralement extrême – d’indépendance et de liberté. Et face à ce désir, les pères (plus que les mères), seraient souvent d’un très grand recours.
Normal. Selon Marguerite, 45 ans, maman de deux ados, les hommes jouent plus naturellement, dans la famille, un rôle de censeur. « Même s’ils ont, au fil des générations, perdu cette réputation d’unique garant des institutions et de la loi familiale, ils sont encore et toujours crédités d’une autorité spontanée et forte, permettant de canaliser le jeune, de contrôler ses pulsions. »

Absence et délinquance
Quoi qu’il en soit, à l’adolescence, cette autorité joue un rôle essentiel : elle stabilise bien souvent l’équilibre psychoaffectif de l’enfant. Les problèmes récents rencontrés dans nos banlieues nous l’ont encore montré. Selon un sondage Ipsos paru en décembre 2005, plus de 50 % des jeunes interpelés par la police avouaient vivre seuls avec leur mère.
« Ce phénomène, commente Christine Vion, est l’apanage de nos sociétés modernes. Chaque génération a certes connu son lot d’ados dont les papas étaient absents. Cependant, la grande différence avec hier, c’est qu’aujourd’hui il n’existe plus rien pour combler ces failles."

De la religion qui s’effrite à l’école qui s’essouffle, de la politique qui déçoit aux idéaux sociaux qui volent en éclats, nous vivons en effet dans un monde où beaucoup de modèles – qui avaient naguère valeur de relais éducatifs – se sont peu à peu effondrés. Pas toujours facile donc, à un âge où le besoin de stabilité est indispensable à la construction de soi, d’évoluer dans un tel contexte : sans père ni repère.

Référents en l'absence de père
Pas toujours facile, mais pas impossible non plus. C’est du moins en ce sens qu’abonde Zara, maman de Jérémy, 16 ans, et Loanne, 18 ans. « Mon mari nous a quittés, moi et mes deux enfants, voilà bientôt douze ans. Une épreuve douloureuse que je ne pensais pas pouvoir surmonter. Il me semblait que les enfants en mal de père présentaient nécessairement, au fil du temps, des troubles caractériels et comportementaux plus ou moins profonds. Sauf que très vite, je me suis rendu compte qu’il existait, dans mon entourage familial, des référents masculins stables – oncles, grand-père, amis – capables de combler, à leur façon, l’absence de mon mari. J’ai donc tout fait pour que Jérémy et Loanne soient en contact avec ces hommes qui, tour à tour, ont su les guider dans leur quête d’identité. »

Sexualité
On le sait : pour se développer, un jeune a besoin de relations privilégiées avec sa mère tout en s’ouvrant, comme le disait Sigmund Freud, « à un tiers et à la différence ». Si le père est absent, la présence d’un homme de la famille suffit souvent à rééquilibrer la donne.
« Avoir un référent masculin quand on est ado, explique ainsi le psychologue Pascal Nef, est important. Au niveau de l’autorité, bien entendu. Mais également au niveau de la sexualité. La présence d’un homme aide le garçon à se séparer de sa mère et à vivre pleinement sa virilité et sa masculinité. » Pour l’adolescente, c’est un peu la même chose : elle apprendra à se sentir femme à travers le regard de ce tiers masculin.  Pour le psychiatre Alain Denil, « les filles dont les pères sont absents sont trop souvent élevées dans la méfiance ou la défiance du sexe masculin. Surtout quand les mères ont été violemment quittées par leur mari. Cette disqualification de l’homme en général peut poser problème chez l’ado, créant parfois en lui des troubles, des difficultés d’identification : inhibition, rejet de soi, conduite homosexuelle, etc. »

Mais fort heureusement, les trois quarts des adolescents sans père ne rencontrent aucun souci particulier de développement. Ils apprennent à vivre avec cette faille, à composer avec cette absence, pour en faire, au fil des jours, une force qui leur permettra de mieux supporter le poids de l’adversité.

À lire

Sans père et sans parole, Didier Dumas, Hachette littératures, 15, 24 €
Filles sans père, Louise Grenier, Quebecor Éditions, 14,95 €

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