Ados : De la timidité à l’affirmation de soi
Avant que l’adolescent affirme son identité, il passe par des stades de malaise, de timidité et d’existence fragmentée, des étapes d’opposition et de mise à l’épreuve de soi. Un long cheminement s'opère entre la timidité et l'affirmation de soi, parfois semé d’embûches, qu’il s’agit de comprendre et d’accompagner. Analyse d'une affirmation de soi pas toujours évidente.
Le théâtre ? La plupart des psys lui prêtent de formidables vertus thérapeutiques, notamment celle de développer une meilleure confiance en soi. Mais lui, Damien, 14 ans, ne veut pour rien au monde en entendre parler. « Je suis quelqu’un d’introverti et de très solitaire, explique-t-il, d’une voix grave, à peine audible. Prendre la parole devant un groupe de trois personnes est déjà une épreuve qu’il m’est difficile de surmonter sans rougir ou bafouiller. Alors comment pourrais-je monter sur scène, devant un public ? J’en suis incapable ! »
Seul et solitaire
Ses week-ends, Benjamin les passe enfermé dans sa chambre, à réviser pour son brevet, ou à gratouiller quelques accords sur sa basse. « Être seul, continue-t-il, n’est pas forcément un choix. Mais parfois, j’ai cette impression désagréable que les gens, autour de moi, ne me comprennent pas, comme si je n’étais jamais à la hauteur de leurs attentes… Alors, je me referme sur moi-même. C’est difficile à vivre ! »
Cette période de repli, la maman de Benjamin ne l’explique pas. « Depuis un an environ, mon fils a changé de fond en comble. Avant, c’était un enfant confiant et relativement sûr de lui. Aujourd’hui, je le vois traîner en permanence, sur son visage, un long masque de peine. Il se déprécie à longueur de journée. Il ne s’aime pas et n’aime pas beaucoup les autres. C’est un véritable cauchemar, pour lui, pour moi. »
Liberté… liberté chérie
À l’adolescence, la capacité d’un jeune à se dévaloriser peut parfois être très forte. Pourquoi ? D’abord, parce qu’avec la puberté, les transformations physiques et sexuelles qui surviennent créent en lui de profonds troubles. Ensuite, parce que durant cette période transitoire, le qui suis-je ? (l’identité) et le quelle est ma valeur ? (l’estime de soi) sont constamment sollicités et remis en question. Enfin, parce que c’est à ce moment de la vie, précisément, que chaque individu tente, coûte que coûte, de se frayer une destinée, un chemin conforme à ses aspirations personnelles.
« L’adolescence, explique le psychologue Henry Pfyser, représente, en quelque sorte, une période de remise à niveau des lois, des idéaux, des valeurs parentales. » On souhaite devenir adulte, mais on s’accroche encore aux derniers vestiges de son enfance. On commence à réclamer, peu à peu, sa liberté mais on se sait et on se sent encore et toujours dépendant de la cellule familiale. On ressent en soi de nouvelles pulsions, de nouveaux désirs, mais on ne trouve pas les moyens de les exprimer clairement et fermement.
L’idéal du moi
C’est d’ailleurs en ce sens que Philippe Jeammet, psychanalyste et auteur du livre Adolescents affirme que les trois quarts du temps, « il est difficile pour un adolescent de ne pas ressentir les transformations de la puberté comme une sorte de violence subie ». Car celle-ci vient introduire en soi le trouble, le doute, l’indéfini et bouscule inévitablement ce que Freud nommait « l’idéal du moi » – c’est-à-dire la relation qu’un individu entretient avec son image et ses affects. Autant d’épreuves, donc, liées à l’impuissance de l’ado, à ses changements corporels et existentiels qu’il n’a pas choisis, comme il n’a pas choisi son sexe, ni tout ce dont il hérite et qui le confronte soudain à ce qu’il aimerait être, à ce qu’il redoute au plus profond de lui.
Contradictions et malaise
Quoi qu’il en soit, la manifestation de ces ressentis souvent contradictoires engendre des conflits qui poussent le jeune à épouser des attitudes parfois extrêmes ; allant de l’exubérance à l’effacement de soi, de l’agressivité à la timidité excessive.
Bien sûr, explique Évelyne, maman de Sarah, 17 ans, et de Gaétane, 15 ans, ces conflits intérieurs ne sont pas systématiques et s’expriment différemment d’un ado à l’autre. « Par exemple, mon aînée, qui a toujours joui d’une structure éducative solide, sait situer ses points forts et ses limites, ses forces et ses faiblesses. Avec la dernière, tout est plus difficile. Enfant, nous lui cédions sur un tas de choses, parce que nous avions peur de la frustrer. Et en même temps, nous souhaitions la garder pour nous, sans forcément la pousser à être autonome. Du coup, aujourd'hui c’est une ado peu confiante qui ressent de violents sentiments de malaise vis-à-vis d’elle et des autres. »
Je m’affirme, tu t’affirmes, il s’…
On le sait : ce qui a été mal réglé durant l’enfance ressurgit souvent au moment de l’adolescence. Autrement dit, fournir à son petit une sécurité affective équilibrée, l’encourager à la curiosité et aux investissements personnels, ne pas avoir peur de le frustrer – sans pour autant le castrer – représentent des moyens de lui garantir des modèles de références stables, passeport pour une estime de soi harmonieuse. Cela dit, nuance tout de même Xavier Tiblou, docteur en psychologie, « à l’adolescence l’estime de soi est forcément fluctuante ».
Si ces fluctuations ne sont jamais faciles à vivre, ni pour le jeune ni pour ses parents, elles témoignent d’un désir d’affirmation et d’émancipation. Il convient donc de les comprendre sans les négliger.
Équilibre et bienveillance
Comment ? Réponse de Danielle Laporte, psychologue : « À l’adolescence, les rapports parents enfants changent de forme. Le jeune ressent le besoin de prendre des distances. Les petits mots d’amour peuvent encore avoir leur place dans l’enceinte familiale, mais ils perdent généralement de leur efficacité en public. En réalité, à cet âge, pour se développer harmonieusement, un jeune a surtout besoin de se sentir écouté et compris, reconnu et respecté, soutenu dans ses efforts et accompagné dans son désir d’autonomie et d’intimité, car son moi est surtout centré sur les relations amicales.»
Bien sûr, en toile de fond de cette stratégie de bienveillance, il s’agit de rappeler, de temps à autre, certains interdits, certaines limites à ne pas dépasser. « Car aider son enfant à s’estimer, ce n’est pas tout lui céder, précise Henry Pfyser. C’est lui apporter une bonne connaissance de soi, de ses valeurs personnelles, négatives et positives. » C’est le sécuriser, tout en lui apprenant que la vie est parfois semée d’embûches et de défis. C’est accepter ses différences, ses prises de positions, tout en le guidant dans sa quête identitaire et en lui montrant régulièrement ce qui est bon ou mauvais pour lui. Enfin, c’est le laisser tailler son chemin, pas à pas, tout en lui réaffirmant soutient et amour, jour après jour.
À lire
L’estime de soi des adolescents, Germain Duclos, Danielle Laporte, Jacques Ross, Hôpital Sainte-Justine, 8 €
L’adolescence, Philippe Jeammet, J’ai lu, 6 €.