Je le trompe
Volonté d’exister de nouveau dans les yeux d’une tierce personne ou simple envie de briser la routine « inhérente » à la vie à deux, les raisons de tromper sont diverses. D’où vient ce besoin de tromper ? Y a-t-il des personne plus à même de tromper que d'autres ? Récit.
Son nom, elle nous le murmure à demi-mot : « Marianne. » Son histoire d’amour, elle nous la raconte avec beaucoup de pudeur, de retenue. Un aveu difficile qui renforce son sentiment de culpabilité. Culpabilité vis-à-vis d’elle-même, de ses enfants… et bien sûr, vis-à-vis de son conjoint. Elle le trompe depuis près de six mois.
Le choix de tromper
Tromper… « Le mot est lourd », nous dit-elle. Dur aussi. « Un seul mot pour exprimer une situation aussi complexe, aussi personnelle… C’est difficile à accepter ! » Marianne est perdue entre ces deux hommes. « Mon couple tournait en rond. Au départ, cette relation extraconjugale m’a permis de me ressourcer. » Peu à peu, Marianne s’est attachée à son amant. « Lui au moins, il me regarde, m’écoute. » Maintenant, elle doit faire un choix : rester ou partir. « Si je quitte mon mari, j’ai peur de blesser mes enfants, de les priver d’un père qu’ils aiment et dont ils ont besoin pour se construire. Si je reste avec lui, j’ai peur de souffrir, de ne pas profiter de la vie. »
La tromperie : une transgression
« Notre vie psychique est un flux continu : le temps s’écoule, et passent nos pensées, nos sentiments, nos goûts. Rien n’est stable. Et l’amour lui-même n’échappe pas à cette impermanence. » Dans son ouvrage L’écologie de l’amour, Gérard Leleu conçoit le couple comme une sphère évolutive « qui a besoin de vie intense, d’évasion, de transcendance et parfois… de transgressions pour exister et perdurer ». Parmi celles-ci, l’infidélité. S’il est difficile d’avancer des chiffres précis, on sait que le plus souvent, l’infidélité survient après cinq ans de couple.
Quid de la parentalité dans la tromperie ?
Pourquoi ? « C’est généralement à cette période de la vie qu’un couple entre en parentalité, explique le psychologue Josèphe Lemerre. L’arrivée d’un enfant chamboule nécessairement les fondations d’une relation. » Chacun doit se trouver une nouvelle place, un nouveau rôle. « Après une naissance, continue l’expert, la mère mène une relation très fusionnelle avec son bébé. Et parfois, le père se sent délaissé. Si personne ne cherche à le combler, le couple se consomme. » Et de la consommation à la consumation, il y a parfois un pas vite franchi.
Tromper : un comportement plus masculin ?
On sait, en outre, que l’infidélité est un comportement plus masculin que féminin – on parle généralement de 20 % de femmes infidèles, contre 25 % d’hommes. Pour expliquer cette différence – qui tend toutefois à s’estomper au fil des siècles –, certains spécialistes avancent la théorie du gène. Les hommes connaîtraient, en effet, un besoin inné de disséminer en plusieurs femmes leur patrimoine génétique. « Plus sérieusement, remarque John Gray, dans Une nouvelle vie pour Mars et Vénus, l’homme est davantage enclin à l’infidélité, moins par nature que par culture. Pour lui, multiplier les relations sexuelles sans éprouver de sentiment a longtemps été considéré comme une attitude normale. »
Sentiments et tromperie
Mais bien entendu, cette « norme » a évolué. Aujourd’hui, certains hommes considèrent volontiers leur aventure extraconjugale comme un moyen de faire renaître les plaisirs du cœur. Et, à l’inverse : à l’heure où l’adultère féminin n’est plus regardé comme un crime en Occident, certaines femmes avouent aller voir ailleurs pour raviver les plaisirs de la chair. « Pourtant, généralement, du côté des femmes, insiste Don-David Lusterman, auteur de Infidélité et après ? « la relation extraconjugale se déroule davantage au sein d’un climat affectif où le désir sexuel et l’investissement sentimental restent encore difficilement séparables ».
La sexualité dans la tromperie
« Je crois, explique Lamina, 38 ans, maman d’un enfant, qu’il y a autant de raisons d’être fidèle ou infidèle que d’histoires d’amour, sur terre. » En réalité, Lamina a été mariée à un homme pendant près de dix ans. « Un exploit », avoue-t-elle. « Les cinq dernières années de notre couple ont été délicates à gérer. » Par deux fois, Lamina a trompé son homme. « Avec mon premier amant, j’ai vécu une histoire purement sexuelle. Nous avions physiquement envie l’un de l’autre. Avec mon deuxième amant, c’était différent. Nous avons appris à nous aimer. C’est d’ailleurs pour lui que j’ai quitté mon mari. »
Tromperie et doutes
Et l’enfant de Lamina ? Comment a-t-il réagi ? « À l’époque, ma fille n’avait que 5 ans. Comme beaucoup de mamans qui ont vécu une histoire similaire à la mienne, j’étais rongée par le doute, l’angoisse. À mes yeux, la mère idéale devait être dévouée à son mari, à ses petits. En un sens, elle devait assurer la cohésion familiale. En allant voir ailleurs, j’avais l’impression de faillir à ma tâche. » Finalement, Lamina est allée consulter un psy. « Je lui ai tout déballé : mes peurs, mes douleurs, mes incertitudes. Il a fini par m’expliquer que si j’étais une mère, j’étais aussi une femme : avec mes pulsions, mes envies, ma liberté. J’ai également beaucoup discuté avec ma fille. Aujourd’hui, du haut de ses 9 ans, je crois qu’elle a compris. Mais c’est vrai… ça n’a été facile pour personne... ni pour moi, ni pour ma fille, ni pour mon mari. »
La tromperie, une faute qui ébranle le couple
En effet, que l’infidélité soit un moyen de retrouver l’ivresse du grand amour ou une façon de pimenter sa vie sexuelle, elle est globalement appréhendée comme un « péché », dans l’inconscient collectif. Le problème explique Don-David Lusterman, c’est que « tout couple est fondé sur un pacte de confiance, garant de la sécurité affective et de la pérennisation de l’union. Or, l’infidélité, qui ne peut se concevoir en dehors du mensonge, brise ce contrat ». Rage, honte, humiliation… « Une personne victime d’adultère, ajoute le psychologue, voit s’ébranler les trois présupposés sur lesquels reposait sa conception de l’existence : le monde à un sens, le monde est bienveillant, j’ai ma dignité. »
La tromperie et son sentiment de culpabilité
Pour celui qui a trompé, les sentiments qui prédominent sont de l’ordre de la culpabilité. Comment ai-je pu en arriver là ? Car l’infidélité engage d’autres vies que celle des amants. Elle oblige à mentir. « Face à l’adultère, remarque Patricia Delahaie, sociologue et philosophe, le secret est nécessaire pour préserver son couple, pour protéger ses enfants. » Il donne de la force à l’amour autant qu’il peut lui apporter de honte. Il crée, en soi, des sentiments extrêmes, parfois détestables. Il pousse à fuir sa relation extraconjugale autant qu’à la continuer. L’adultère est donc d’emblée placé sous le signe du paradoxe. Ce paradoxe, Patricia Delahaie le cristallise sous la logique du glauque et du divin. « Le glauque, c’est cette honte sourde qui surgit hors de la magie de la relation secrète. Le divin, lui, naît de la réactivation du désir avec l’amant, et de ce sentiment intense de vacarme affectif. »
Le désir à l'origine de la tromperie
En fait, tous les spécialistes s’accordent sur ceci : à la base de l’infidélité, il y a une défaillance, non pas de l’amour, mais du désir. « L’amour, précise, pour sa part, le psychologue Josèphe Lemerre, correspond à un investissement sentimental. » C’est une caresse. Une attention particulière. Un mot tendre. « Le désir, lui, est de l’ordre de la vibration corporelle, de l’émotion sexuelle. » Aussi, un individu peut très bien aimer le quotidien avec son conjoint, mais ne plus éprouver de désir pour lui. Le besoin de changer l’ordre des choses et de donner de la fureur à sa vie se fera alors de plus en plus ressentir….
La liberté de tromper... ou pas
Certaines personnes auront si peur de l’impétuosité de leurs désirs, qu’elles tiendront en respect cette tempête venant du fond d’elles-mêmes. Elles apprendront à la dompter, à la dresser pour retrouver la force en elles de rebondir. Sans écart. « De toute façon, termine le psy, personne n’est à l’abri d’une crise personnelle ou conjugale. Pour remédier à leurs problèmes, certains iront voir ailleurs. D’autres non. Tout est une histoire de choix. » De bonne conscience aussi. « Deviens ce que tu choisis d’être, répétait, à ce titre, Jean-Paul Sartre. Et surtout : assume ta liberté ! »
À lire
Fidèle pas Fidèle ? Patricia Delahaie, Éditions Leduc.S, 13,90 €.
L’infidélité et après ? Don-David Lusterman, InterÉditions, 20 €