Nouveauté

Ne pas brider la créativité

La créativité ? Elle joue un rôle capital dans la construction psychologique de nos enfants. À condition, bien sûr, qu’elle soit encadrée par des règles éducatives qui ne sont ni trop rigides ni trop permissives. Explications.

« Tu ne penses qu’à t’amuser ! », « Le travail d’abord ! », « La vie n’est pas un jeu ! »… Je viens d’une génération où les bonnes vieilles valeurs dominaient encore toute notre vie d’enfant : jouer, rêver, créer n’avaient pas bonne presse. C’était mauvais signe, un enfant qui ne s’inscrivait pas dans la norme était forcément inadapté.

L’équilibre
Depuis quelques années, je m’insurge contre la permissivité parentale, véritable creuset de l’intolérance aux frustrations, de l’omnipotence et de la déconfiture du lien Soi-Autrui. Beaucoup y ont vu une attitude « réac », un retour au « Travail Famille, Patrie » d’antan. Et c’est bien sûr le risque d’un mouvement de bascule trop violent : après le laisser tout faire, le dressage infantile. Non, j’ai toujours demandé un « curseur éducatif » équilibré. D’une part, l’épanouissement de l’enfant par l’amour et la stimulation de son estime de soi. D’autre part, l’exigence et la frustration, pour l’aider à s’accommoder au principe de réalité.

L’éveil du « Soi »
Oui, la créativité doit être importante, dans toute éducation. Par les jeux physiques ou artistiques. Par la rêverie et la solitude. Par la liberté d’imaginer. À travers ces activités, l’enfant vit, espère, construit, «sublime». Mais surtout, il signe sa singularité : « j’existe ». Là où les anciennes générations ne fabriquaient que de la future chair à canon, la préoccupation d’éveiller le « Soi » de chacun est une bonne alternative. Cependant, aujourd’hui, je vois ces enfants hyper-stimulés, véritables hommes-orchestres, activistes tous azimuts qui, à l’adolescence, ont une quête de soi encore plus dramatique. Ils ont touché à tout, abandonné beaucoup de choses, ne savent plus rêver l’avenir… L’inverse de l’effet escompté. Trop de stimulation tue la créativité et entame le sentiment même de Soi.

Le bon dosage
Pourquoi ? Nous, parents, confondons trop souvent la créativité avec le plaisir. Bien sûr, il est nécessaire de vivre du plaisir et cela très jeune – la réalité ne saurait être que frustration ! Mais il est tout aussi souhaitable de savoir doser plaisir et frustration, même dans les contextes les plus créatifs. En somme, nous devons établir des règles, de véritables « cadres » pour les activités de notre enfant. Laisser l’enfant dessiner selon son imaginaire, mais savoir l’arrêter lorsqu’il tague les murs de sa chambre. Stimuler sa parole, mais ne pas le laisser communiquer sur tout et n’importe quand. Entendre sa demande pour tel ou tel loisir, mais ne pas écouter sa démotivation dès qu’une contrainte apparaît. Le laisser rêver mais aussi le ramener, de temps à autre, au réel. Et surtout : bien « régler » toutes ces stimulations abusives, érigées en norme par notre société : un temps précis pour les jeux vidéo – je parle des plus créatifs et non des jeux passifs, de pure consommation.

Le plaisir demande effort
En réalité, la « règle » est d’abord de rappeler à l’enfant que le plaisir n’est pas « sans conditions ». Ensuite, que le vrai plaisir est l’hédonisme à moyen et long terme. Enfin, qu’il ne faut pas confondre la consommation immédiate et provisoire, voulue par le marketing et la satisfaction d’un désir accompli, parce que construit : on excelle en musique, mais seulement après avoir appris les exigences du solfège. On ne peut esthétiser la réalité par l’art qu’après des heures d’essais, d’entraînement et de répétitions…

La liberté
Bien entendu, ces « frustrations-là » ne sont pas acceptées facilement par l’enfant. Et c’est le rôle du parent – ou de l’éducateur de savoir doser plaisir et frustration en incluant des « règles ». Pour un bon nombre d’activités, n’oublions pas que la règle signe le plus souvent la liberté de l’autre : je ne suis pas tout seul, les autres existent. Le tout-faire pour que l’enfant « soit » est une priorité qui me gêne quand elle se fait au détriment de la socialisation. Je me souviens de cette pensée de Saint-Exupéry : « L’homme est celui qui crée et seuls sont frères ceux qui collaborent »… Savoir libérer la créativité de son enfant tout en incluant la présence d’autrui, tout un art, une véritable règle du jeu !... et du «je».

Didier Pleux

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